19 sept., 2022

L’ammoniac revisité : engrais azoté vert, transporteur d’hydrogène et carburant – de la lutte contre la famine à l’apport pour une planète sans carbone

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Historiquement, l’ammoniac (NH3) a toujours été utilisé comme un fertilisant important pour contribuer à la lutte contre la famine mondiale. Aujourd’hui, il est devenu un transporteur d’hydrogène à la fois fiable et exempt de carbone, pouvant ainsi servir à emmagasiner de l’hydrogène gris, bleu ou vert.

  1. Les techniques de synthèse de l’ammoniac sont connues et éprouvées. Datant de plus 100 ans, elles ont été optimisées et sont aujourd’hui considérées comme sécuritaires. Elles sont précédées d’une chaîne d’approvisionnement fiable qui est intégrée et adaptée pour soutenir l’hydrogène vert ou bleu servant à produire de l’ammoniac vert. Le procédé de production d’ammoniac le plus utilisé au monde est appelé Haber-Bosch (HB).

    L’ammoniac est produit depuis toujours par l’intégration d’un processus appelé reformage de méthane à la vapeur (RMV), de la gazéification du charbon ou de procédés d’oxydation de combustibles. C’est ainsi que l’on obtient le H2 nécessaire à l’aide du procédé HB. Le processus RMV génère plus de dioxyde de carbone (CO2) que tous les autres procédés de synthèse chimique, à raison de 2,4 tonnes par tonne de produit, ce qui est supérieur à l’acier (1,4 tonne de CO2 par tonne d’acier) et au béton (0,6 tonne de CO2 par tonne de béton). Le procédé RMV est responsable d’environ 1,3 % des émissions mondiales annuelles de CO2.

    La décarbonation comprendra la production d’hydrogène vert et, par conséquent, transformera les unités requises au processus RMV partout dans le monde.

  2. PORTÉE DES ÉMISSIONS D’AMMONIAC

    En 2021, l’ammoniac était le deuxième produit chimique le plus fabriqué au monde avec 235 millions de tonnes. L’ammoniac est largement utilisé comme fertilisant, dans les climatiseurs et les systèmes de réfrigération des grands immeubles, dans la fabrication d’explosifs et de textiles ainsi que dans le secteur pharmaceutique, et il sert d’absorbant dans l’extraction de gaz acides. Il représente environ 2 % (8,6 EJ) de la production nette mondiale de systèmes énergétiques anthropiques.

    Aujourd’hui, d’autres utilisations de l’ammoniac émergent :

    • en tant que source d’alimentation dans la production d’énergie, soit par combustion directe dans les turbines à gaz ou sous forme dissociée dans les piles à combustible à membrane échangeuse de protons (piles à combustible PEM);
    • en tant que carburant dans les moteurs à combustion directe, les piles à oxyde solide et les piles à combustible PEM;
    • en tant qu’agent de transfert de chaleur.

    Actuellement, les émissions directes liées à la production d’ammoniac totalisent les deux tiers du bilan carbone du Canada.

  3. RELANCE DES AVANTAGES

    Comparativement à l’hydrogène et au méthanol, l’ammoniac est aussi une substance qui emmagasine de l’énergie. On peut y stocker beaucoup d’énergie pendant de longues périodes, ce qui permet d’optimiser la distribution énergétique. L’ammoniac devient liquide à -33 °C à pression atmosphérique ou à température ambiante avec des pressions avoisinant 10 bars, ce qui est plus facile qu’avec l’hydrogène. L’ammoniac liquide a une teneur élevée en hydrogène, soit 17,8 % en poids, et sa densité énergétique est de 13,77 MJ/l à 20 oC et 8,6 bars. Comparativement au méthanol, il est aussi plus stable et plus facile à transporter.

  4. CHAÎNE D’APPROVISIONNEMENT

    L’infrastructure de production et de distribution de l’ammoniac liquide ou gazeux (stockage, pipelines, camions-citernes, expédition en soute, navires-transporteurs, etc.) est bien établie et offre une grande capacité. Elle est aussi assujettie à une réglementation bien définie, et s’est montrée sécuritaire historiquement au cours du dernier siècle. L’ammoniac exposé à l’air est également beaucoup moins inflammable que le gaz naturel, le méthanol, l’hydrogène ou les vapeurs d’essence. S’il est considérablement plus toxique que les substances mentionnées précédemment, les protocoles de sécurité et les pratiques exemplaires de manutention qui l’entourent sont déjà bien établis dans les secteurs industriels concernés.

  5. TECHNOLOGIES ÉTABLIES ET OPTIONS

    L’ammoniac est principalement produit à l’échelle commerciale par le procédé HB, lequel est en voie d’optimisation par le développement de technologies. Ce procédé produit de l’ammoniac en utilisant de l’azote (N2) et de l’hydrogène (H2) atmosphériques, ainsi qu’un catalyseur métallique à hautes température et pression. L’hydrogène est habituellement extrait de combustibles fossiles, comme il a été expliqué plus haut.

    Le procédé HB est bien implanté. Il consomme 8 MWh d’énergie par tonne d’ammoniac produit, utilisant le procédé de reformage du gaz naturel pour la production de H2, ce qui représente ~75 % de la demande énergétique totale. Les 25 % qui restent sont utilisés pour les procédés de synthèse de l’ammoniac, la compression du gaz et la séparation de l’ammoniac. Le processus de génération de H2 représente 90 % des émissions de CO2 en cause dans le procédé HB qui, au cours de son évolution, a fait l’objet de développements et d’optimisations qui ont permis d’en améliorer l’efficacité.

    Les tendances récentes considèrent la production d’hydrogène vert pour tous les requis énergétiques comme seule voie viable pour atteindre une décarbonation en profondeur. Le processus utilise l’électrolyse de l’eau et, idéalement, des sources d’électricité renouvelables pour empêcher les émissions générées par le processus RMV.

    Une autre étape consiste à améliorer l’efficacité en utilisant la technologie de l’électrolyse de l’eau basée sur les piles à oxyde solide (SOFC), récupérant la chaleur libérée par la réaction de synthèse pour réaliser l’électrolyse à base de vapeur.

    D’autres approches possibles au procédé HB comprennent entre autres la production électrochimique d’ammoniac et la synthèse non thermique de plasma. Il s’agit de technologies prometteuses, mais elles doivent encore faire leurs preuves afin d’atteindre une applicabilité commerciale viable.

  6. CODE DE COULEURS

    Par rapport à la source de H2, l’ammoniac est aussi identifié par un code de couleurs. Jusqu’ici :

    • l’ammoniac brun résulte du procédé HB utilisant de l’hydrogène gris ou brun issu de combustibles fossiles comme matières premières. L’hydrogène gris provient du gaz naturel à l’aide du processus RMV, et l’hydrogène brun est produit par gazéification de charbon. La production de ces deux couleurs de H2 émet du CO2 qui est libéré à l’atmosphère lors de sa production. L’ammoniac brun représente la majorité de l’ammoniac produit depuis la mise en œuvre du procédé HB;
    • l’ammoniac bleu est produit par les mêmes méthodes que l’ammoniac brun, mais le captage et le stockage du carbone sont compris dans le procédé traditionnel pour éviter que le CO2 s’échappe dans l’atmosphère;
    • l’ammoniac vert est produit à l’aide de sources d’énergie renouvelable sans CO2 et sans utilisation d’hydrocarbures. Le H2 lui sert de matière première brute dans l’électrolyse de l’eau qui utilise uniquement des sources d’électricité durables. La production d’ammoniac vert demande aussi des unités de séparation d’air (ASU) pour générer du N2.
  7. ÉMISSIONS D’AMMONIAC ET EXTRACTION DIRECTE DANS L’AIR

    Une question secondaire est la volatilisation de NH3 des systèmes agricoles; elle est la principale source anthropique de NH3 atmosphérique, représentant de 10 % à 30 % de l’azote contenu dans l’engrais et dans les déjections animales. Le problème se corse lorsqu’une fraction du NH3 peut se transformer en N2O, un autre gaz à effet de serre à potentiel beaucoup plus élevé que le CO2.

    Une approche circulaire de la production d’ammoniac vert devrait aussi comprendre la récupération de l’ammoniac émis à l’aide de méthodes de capture.

  8. CONCLUSION

    Aujourd’hui, la production d’ammoniac contribue grandement aux émissions mondiales de CO2 en raison de sa forte dépendance aux combustibles fossiles et du retrait de tous les types de carbone sous forme de CO2. Le procédé de production de H2 sur lequel se fonde la synthèse de l’ammoniac a d’importants besoins énergétiques et est responsable de la plupart des émissions de CO2. Par conséquent, l’ammoniac vert n’est réalisable que si la production de H2 repose entièrement sur des sources d’énergie renouvelables. Si cette condition est satisfaite, l’ammoniac devient un substitut sans carbone aux hydrocarbures et un médium de transport et de stockage d’énergie.

    Grâce aux technologies, aux politiques et à l’infrastructure auxquelles l’ammoniac est assujetti, ce produit est pratique et sécuritaire à transporter. De plus, la multiplication des recherches en efficacité énergétique accélère le développement de technologies de production d’ammoniac vert. Les domaines de recherche à venir sur la chaîne d’approvisionnement de H2 comprennent la réduction des coûts et l’amélioration du rendement des électrolyseurs, du stockage de H2 et des infrastructures de transport.

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